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ration publique avec de vaines superstitions, que l’on doit détruire par le ridicule. Tous deux ont pensé hardiment, et ont exprimé franchement leurs pensées. La franchise de Voltaire est plus maligne, et celle de Montaigne plus naïve ; mais tous deux ont oublié trop souvent la décence dans les idées et même dans l’expression ; et nous devons leur en faire un reproche : car le plus grand tort du génie, c’est de faire rougir la pudeur et d’offenser la vertu.


SECONDE PARTIE.

Si Montaigne n’avait que le mérite assez rare de dire souvent la vérité, il aurait, on peut le croire, comme Charron son imitateur, obtenu plus d’estime que de succès, et plus d’éloges que de lecteurs. Ceux mêmes qui se piquent d’aimer avant tout la raison, veulent encore qu’elle soit assez ornée pour être agréable ; et l’on ne cherche pas l’instruction dans un livre où l’on craint de trouver l’ennui. Montaigne plaît, amuse, intéresse par la naïveté, l’énergie, la richesse de son style et les vives images dont il colore sa pensée. Ce charme se fait sentir aux hommes qui n’ont jamais réfléchi sur les secrets de l’art d’écrire, mais il mérite d’être particulièrement analysé par tous ceux qui font leur étude de cet art si difficile, même pour le génie.

Je sais que l’on pourrait attribuer une partie du plaisir que donne le style de Montaigne à l’ancienneté de son langage. L’élégant Fénelon lui-même regrettait quelquefois l’idiome de nos pères. Il y trouvait je ne sais quoi de court, de naïf, de hardi, de vif et de passionné. On doit avouer en effet que les priviléges, ou plutôt les licences du vieux français, le retranchement des articles, l’usage des inversions, la hardiesse habituelle des tours, le grand nombre