Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/19

Cette page n’a pas encore été corrigée

avec soin les premières années de l’enfance, de prendre ses inclinations dès le berceau, et de les conduire, ou plutôt de les laisser aller au bien, sans gêne et sans effort, la grande importance de l’éducation physique, les exercices du corps tournant au profit de l’âme, l’art de former la raison en l’accoutumant à se faire des idées plutôt que d’en recevoir, l’inutilité des études qui n’occupent que la mémoire, le secret de faire trouver les choses au lieu de les montrer : tant d’autres idées qui n’en sont pas moins vraies pour être peu suivies, ont heureusement passé des écrits de Montaigne dans l’ouvrage de Rousseau.

Montaigne haïssait le pédantisme : mais il aimait la science, quoiqu’il en ait médit quelquefois. Il convient que c’est un grand ornement et un outil de merveilleux service. Cependant ce qu’il exige avant tout dans un gouverneur, c’est le jugement. Je veux, dit-il, qu’il ait la tête bien faite que bien pleine. Quand le gouverneur aura formé le jugement de son élève, il peut lui permettre l’étude de toutes les sciences. Notre âme s’élargit d’autant plus qu’elle se remplit. Ce langage n’est pas celui d’un ennemi des lettres. Et comment Montaigne aurait-il pu se défendre de les aimer ! Elles firent l’occupation et le charme de sa vie ; elles élevèrent sa raison au-dessus de celle de ses contemporains, qui les étudiaient aussi, mais qui ne savaient pas s’en servir. Elles firent de lui un sage ; et, ce qu’il estimait peut-être bien plus, elles en firent un homme heureux.

Telle est l’idée que je me forme de Montaigne, considéré comme philosophe et comme moraliste : jamais d’exagération, jamais de système orgueilleusement chimérique ; quelquefois des idées incertaines, parce qu’il y a beaucoup d’incertitude dans l’esprit humain ; toujours une candeur et une bonne foi qui feraient pardonner l’erreur même.