Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/17

Cette page n’a pas encore été corrigée

nombre de choses assurées qu’il faut croire, quelques choses probables qu’il faut discuter, beaucoup de choses convenues qu’il faut respecter pour le bien général.

Mais si le scepticisme de Montaigne, plus modéré que celui de tant d’autres philosophes, ne touche jamais aux principes conservateurs de l’ordre social, sa raison en a d’autant plus de force pour attaquer les préjugés ridicules ou funestes, dont les contemporains étaient infatués ; et d’abord n’oublions pas que le siècle de Montaigne était. encore le temps de l’astrologie, des sorciers, des faux miracles, et de ces guerres de religion, les plus cruelles de toutes ; n’oublions pas que les hommes les plus respectables partageaient les erreurs et la crédulité du vulgaire ; et qu’enfin, écrivant plusieurs années après l’auteur des Essais, le judicieux de Thou rapportait, et croyait peut-être toutes les absurdités merveilleuses qui font rire de pitié dans un siècle éclairé. Combien aimerons-nous alors que Montaigne sache trouver la cause de tant d’erreurs dans notre curiosité et dans notre vanité ! S’agit-il d’un fait incroyable ? Nous disons[1] : comment est-ce que cela se fait ? Et nous découvrons une raison ; mais se fait-il ? eût été mieux dit. Une fois persuadés, nous croyons que[2] c’est ouvrage de charité de persuader les autres, et, pour ce faire, chacun ne craint pas d’ajouter de son invention autant qu’il en voit être nécessaire à son conte, pour suppléer à la résistance et au défaut qu’il pense être en la conception d’autruy. Et c’est ainsi que les sottises s’accréditent et se perpétuent. Il est des sottises qui ne sont que ridicules ; il en est d’affreuses. Montaigne se moque des unes, et combat les autres avec les armes de la raison et de l’humanité. Il plaint ces malheureuses victimes

  1. Montaigne.
  2. Ibid.