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puissance de la loi nouvelle. Toutefois il intéresse profondément ; il est si peu déclamateur et si vrai ! Ses paroles amères contre la nature humaine ne sont pas des invectives ce sont des cris de douleur sur lui-même. On demeure frappé d’une sorte de triste respect, en voyant le mal intérieur de cette sublime intelligence. Sa misanthropie semble une expiation de son génie : il en est lui-même plus humilié qu’enorgueilli. Il n’est pas comme le stoïcien de l’antiquité, un contemplateur impassible de nos misères il les porte toutes en lui : « Mais, dit-il, malgré la vue de toutes ces misères qui nous touchent, et qui nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève. » Cet instinct de spiritualisme opposé à notre faiblesse mortelle, ce contraste de grandeur et de néant remplit seul les chapitres sublimes de Pascal sur la nature de l’homme. Il lui inspire des mouvements d’une incomparable éloquence, et des pensées d’une effrayante profondeur. On s’étonne de le voir descendre de cette haute métaphysique à des vérités d’observation, surprendre les moindres secrets du cœur, et pénétrer l’homme tout entier d’un vaste et triste regard.

Pascal ne fait pas, comme La Bruyère, des descriptions, des portraits ; mais il saisit et exprime d’un trait le principe des actions humaines. Il écrit l’histoire de l’espèce, et non celle de l’individu. Jugeant les choses de la terre avec une liberté et un désintéressement tout philosophique, il arrive souvent par une route bien opposée au même but que les plus hardis novateurs ; mais il ne s’y arrête pas, il voit au delà. Quelquefois il a l’air d’ébranler les principes mêmes de la société, de la propriété, de la justice ; mais bientôt il les raffermit par une pensée plus haute. Il est sublime de bon sens autant que de génie. Le style porte en lui l’empreinte de ces deux caractères.