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est venu y faire, ce qu’il deviendra en mourant, j’entre en effroi comme un homme qu’on aurait porté endormi dans une ile déserte, et qui s’éveillerait sans connaitre où il est. Je vois d’autres personnes, auprès de moi, de semblable nature. Je leur demande s’ils sont mieux instruits que moi, et ils me disent que non et sur cela, ces misérables égarés, ayant regardé autour d’eux, et ayant vu quelques objets plaisants, s’y sont donnés, et s’y sont attachés. Pour moi, je n’ai pu m’y arrêter, ni me reposer dans la société de ces personnes semblables à moi, misérables comme moi, impuissantes comme moi. »

Ne sent-on pas, dans ces paroles, toute la souffrance, tout le travail de ce grand génie, pour trouver la vérité ? Peut-on être surpris maintenant de la profondeur de tristesse et d’éloquence qui anime sous sa plume quelques pensées métaphysiques jetées au hasard ? Que sont tous les intérêts de la terre, que sont toutes les passions auprès de ce grand intérêt de l’être spirituel se cherchant lui-même ? Dans une intelligence qui voit tout, le combat contre le doute est le plus grand effort de la pensée humaine. Pascal lui-même y succombe quelquefois : il cherche des secours bizarres contre un si grand péril. Vous vous étonnez qu’une fois il mette à croix ou pile l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme, et qu’il détermine sa conviction par un calcul de probabilité. Souvenez-vous de Rousseau, plus faible et plus capricieux, faisant dépendre d’une pierre qu’il lance l’espoir de son salut éternel. Il faut reconnaitre ici cette impuissance, et, pour ainsi dire, ce désespoir de la pensée, après de longs efforts pour pénétrer l’incompréhensible. Ce fut le tourment de Pascal, tourment d’autant plus grand, qu’il se proportionnait a son génie. Une religion positive put seule l’affranchir et le soulager. Elle lui rendait quelque sécurité, en le domp-