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Ce tourment des plus hautes intelligences avait redoublé dans tous les grands renouvellements de la civilisation, à ce moment où l’homme, après avoir marché longtemps appuyé sur d’antiques croyances, les sent échapper dans une égale impuissance de s’en passer, ou de s’en servir. Ainsi, vers les derniers siècles de l’empire, quand le polythéisme tombait de toutes parts, et que les derniers disciples de Platon tâchaient en vain à se créer une foi, et à refaire un culte par les forces de la raison, le plus éloquent de ces philosophes, Porphyre, nous est représente dans une mélancolie qui va jusqu’au délire, prêt a se donner la mort[1] pour échapper au supplice du doute. Ainsi, chez plusieurs de ces spéculatifs allemands qui ont travaillé sur les ruines amoncelées par un siècle de scepticisme, la folie semble quelquefois naître de la contemplation trop habituelle et trop ardente des grands mystères de l’existence humaine. Le doute creusé en tous sens, et partout stérile, repousse ces esprits curieux vers une sorte de théurgie mystique ; comme si croire était un repos nécessaire à l’âme, comme si les illusions de l’enthousiasme étaient le premier bien pour elle après la vérité.

Pascal, à qui la supériorité de son génie avait fait parcourir d’avance tout le cercle des inquiétudes que peut éprouver l’esprit humain, dans une civilisation de plusieurs siècles, Pascal, instruit de tout par le combat que s’étaient livré les puissances de son âme, se jette dans l’asile de la foi chrétienne. Elle seule lui explique l’origine de la vie humaine, la grandeur et la misère de l’homme. Mais que d’enorts inquiets pour arriver à ce repos ! « En regardant, dit-il, tout l’univers muet, et l’homme sans lumière abandonné à lui-même, et comme égaré dans ce recoin de l’univers, sans savoir qui l’y a mis, ce qu’il

  1. Plotinus, in vita Porphiria.