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ront jamais, et qui conservent leur frêle immortalité au milieu de ces antiques destructions : telles paraissent quelques pensées de Pascal, restes mutités de son grand ouvrage.

On sait qu’il le commença déjà mortellement atteint de cette douloureuse langueur qui devait sitôt consumer sa vie. N’ayant sur la terre d’autre action que celle de l’intelligence, il la continua jusqu’à ce qu’il eût achevé de mourir. Telle était cependant la violence de ses maux, qu’une autre préoccupation que celle des vérités morales lui devint nécessaire. Plus d’une fois, nous disent les historiens de sa vie, il reprit avec ardeur les plus laborieuses méditations de la géométrie, et s’y plongea tout entier, pour se distraire des douleurs physiques. N’était-ce pas plutôt contre d’autres douleurs qu’il cherchait ce remède ? N’y trouvait-il pas un repos contre l’inquiète activité de son âme trop assaillie de pensées ?

Que l’on considère en effet cette intelligence sublime, captive dans un corps misérable, fatiguée par tant de prodigieux efforts, et trouvant sans cesse devant elle tous ces grands problèmes de la destinée humaine, qui ne peuvent se résoudre, comme ceux de la science :

« Je ne sais qui m’a mis au monde, ni ce qu’est le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme : et cette partie même de moi, qui pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout, et sur elle-même, ne se connaît non plus que le reste. »

Cette terrible ignorance que Pascal retrace avec trop d’énergie pour n’en avoir pas souffert, voilà l’ennemi dont il travaille à secouer le joug plus accablant que la foi. Les mêmes incertitudes avaient agité les philosophes anciens ; elles les avaient quelquefois troublés jusqu’au désespoir.