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par Pascal, que de combattre hautement de lâches complaisances qui dégradaient la religion, et de diffamer cette jurisprudence bizarre qui avait, pour ainsi dire, introduit dans les sublimes vérités de la morale et de la conscience les subtilités de la chicane et les formes astucieuses de la procédure. Avec quel feu de naturel, quelle impitoyable ironie, quelle gaieté digne de l’ancienne comédie, Pascal n’a-t-il pas rempli cette généreuse mission ? Les doctrines de la probabilité et de la direction d’intention ne sont-elles pas devenues immortelles par le ridicule dont il les a flétries ? Cet art de la plaisanterie que les anciens nommaient une partie de l’éloquence, cet atticisme moqueur et naïf dont se servait Socrate, cette malice instructive et plaisante que Rabelais avait salie du cynisme de ses paroles, cette gaieté intérieure et profonde qui anime Molière et que l’on trouve souvent dans Lesage, enfin cette perfection de l’esprit, qui N’est autre chose qu’une raison supérieure et enjouée, voilà l’ineffaçable mérite des premières Provinciales.

Quand on regarde la vie de Pascal, si bornée dans son cours, si affligée par la souffrance et par la tristesse inséparable des profondes études, quand on lit ces pensées détachées, qui semblent le produit du malaise d’un esprit sublime, on a d’abord peine à concevoir cette surabondance de gaieté que ce même homme a répandue sur la sécheresse de la scolastique. Le rire est-il donc si voisin de la tristesse dans ces rares intelligences qui regardent d’en haut la nature humaine ? On serait tenté de le croire, en lisant Pascal, Shakspeare et Molière. On a dit, pour expliquer cette alliance, que l’habitude d’observer inspirait la tristesse. Ce sentiment tient plutôt à l’élévation même des facultés intellectuelles, parce que de tels esprits sentent plus vivement les bornes et l’impuissance de la pensée, et sont attristés par leur force même, en