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auteurs, mesure le progrès de son admiration sur celui de leur sottise, et rend vraisemblable par ses louanges ce qui paraîtrait un reproche invraisemblable. Le dialogue des deux interlocuteurs se prolonge beaucoup : mais cette forme est si heureuse, si variée dans les détails, elle produit une illusion si naturelle, qu’on ne peut s’en lasser. Platon, combattant les subtilités des rhéteurs, avait donné le modèle de cette excellente satire. Son Euthydème, qui se vante d’enseigner la vertu par une méthode abrégée, ressemble au père jésuite expliquant la dévotion aisée. Mais, il faut l’avouer, pour le ridicule, les casuistes de Pascal valent encore mieux que les sophistes de Platon.

Le sujet des Provinciales n’est donc pas, et il s’en faut de beaucoup, stérile et défavorable, comme on le supposerait volontiers, par admiration pour le génie de l’auteur[1] : non-seulement Pascal a su créer ; mais il avait bien choisi. Certes, de tous les égarements de l’esprit, un des plus singuliers, c’est de vouloir justitier le vicE par la vertu, de faire de mauvaises actions avec de bonnes raisons, de fausser sans cesse la morale en protestant qu’on la respecte, et de parvenir, à force de distinctions, jusqu’à trouver dans les lois de Dieu le privilége de nuire méritoirement aux hommes. Rien n’est plus plaisant d’ailleurs que le contraste de la sévérité des personnages et du relâchement des principes ; voilà les ressources qui s’curaient à Pascal, et qu’il a développées avec une prodigieuse malice. En attribuant à ses adversaires le dessein formel et prémédité de corrompre la morale, il fait sans doute une supposition exagérée ; mais il donne à toutes ses attaques un point d’unité, d’où elles partent plus vives et mieux soutenues. Peut-on

  1. Siècle de Louis XIV, t. II.