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sévères : s’ils pouvaient l’être, ses exemples seraient là pour nous défendre et nous rassurer. Il ne cherche donc pas à nous faire peur du vice ; peut-être ne croit-il pas en avoir le droit ; mais il s’efforce de nous séduire à la vertu, qu’il appelle qualité plaisante et gaie. Pour dernier terme, il nous propose le plaisir, et c’est au bien qu’il nous conduit.

La morale de Montaigne n’est pas sans doute assez parfaite pour des chrétiens : il serait à souhaiter qu’elle servît de guide à tous ceux qui n’ont pas le bonheur de l’être. Elle formera toujours un bon citoyen et un honnête homme. Elle n’est pas fondée sur l’abnégation de soi-même, mais elle a pour premier principe la bienveillance envers les autres, sans distinction de pays, de mœurs, de croyance religieuse. Elle nous instruit à chérir le gouvernement sous lequel nous vivons, à respecter les lois auxquelles nous sommes soumis, sans mépriser le gouvernement et les lois des autres nations, nous avertissant de ne pas croire que nous ayons seuls le dépôt de la justice et de la vérité. Elle n’est pas héroïque, mais elle n’a rien de faible : souvent même elle agrandit, elle transporte notre âme par la peinture des fortes vertus de l’antiquité, par le mépris des choses mortelles, et l’enthousiasme des grandes vérités. Mais bientôt elle nous ramène à la simplicité de la vie commune, nous y fixe par un nouvel attrait, et semble ne nous avoir élevés si haut dans ses théories sublimes, que pour nous réduire avec plus d’avantage à la facile pratique des devoirs habituels et des vertus ordinaires.

Ces divers principes de conduite ne sont jamais, chez Montaigne, énoncés en leçons : il a trop de haine pour le ton doctoral ; mais c’est le résumé des confidences qu’il laisse échapper en mille endroits. Il nous dit ce qu’il fait, ce qu’il voudrait faire. Il nous peint ce qu’il appelle sa