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excessifs la plus grande portion de cette vie si courte, et sitôt dévorée.

Mais comment, du milieu de ces études arides et desséchantes a pu sortir l’orateur habile et passionné, le créateur du style français ? Nos grands écrivains se sont tous produits au dehors, ou par le jet soudain d’une première et unique inspiration, ou par la longue patience d’un même travail. Pascal est écrivain sublime, en quittant ses livres de géométrie. Dans les pages éloquentes qui n’occupèrent que quelques-unes des années peu nombreuses accordées à cet homme extraordinaire, vous n’apercevez ni les commencements ni les degrés du génie : le terme est d’abord atteint ; la trace des pas est effacée.

Peut-être ce singulier phénomène doit-il en partie s’expliquer par l’influence même des études abstraites qu’avait embrassées Pascal, à une époque où ces hautes connaissances, destituées encore de la perfection et de la facilité des méthodes, imposaient à l’esprit l’effort d’une création continuelle. Tout était originalité dans une étude incomplète et renaissante. Une sorte d’enthousiasme et d’imagination élevée s’attachait à tous les essais de la science. On peut songer dès lors combien l’habitude de semblables contemplations devait être plus féconde et plus inspirante que les travaux frivoles auxquels la littérature avait été trop souvent bornée, sous la protection de Richelieu. La langue et le génie français pouvaient-ils être heureusement dénoués par ces écrivains, qui ne cherchaient dans le style que le style même, et faisaient de l’étude des mots une science à part ? Pour trouver ce qui fait les hommes éloquents, il faut chercher ce qui élève la pensée. L’antique liberté avait créé l’antique éloquence. L’imitation poétique la fit passer dans les vers de Corneille. Mais nos institutions ne lui laissaient point de place ailleurs que sur le théâtre.