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fectionne par d’autres mains, et devient un simple chainon dans l’ordre successif des vérités que doit découvrir la patience des siècles ; mais l’écrivain qui a gravé par l’éloquence de grandes pensées ou de généreux sentiments, a tout fait en une fois, et demeure lui-même immortel avec son ouvrage.

En réfléchissant à cet instinct prématuré qui tourna dès l’enfance le génie de Pascal vers la géométrie, et lui fit inventer les éléments de la science, qu’il désirait sans la connaître, il serait superflu de chercher si la faculté qu’il manifesta la première était nécessairement en lui la plus naturelle et la plus haute. Tous les talents supposent des germes innés ; mais une foule de circonstances extérieures et d’impressions étrangères, mille hasards, que l’on ne calcule pas, peuvent déterminer le développement des facultés de l’esprit, dans un ordre qui ne suppose pas la prééminence de l’une sur l’autre. Le père de Pascal voulait occuper son fils à l’étude des lettres ; mais il était lui-même géomètre passionné il ne vivait que pour cette science. En la refusant à son fils, il la lui promettait dans l’avenir, pour prix de ses efforts ; il lui annonçait la géométrie comme la science des hommes. On voit tous les jours, par des expériences moins importantes et moins heureuses, que les enfants imitent, au lieu d’obéir, qu’ils répètent les actions et oublient les conseils, que leur curiosité, enfin, cherche surtout ce qu’on lui dérobe. N’est-il pas vraisemblable que, dans une intelligence prodigieusement active et pénétrante comme celle de Pascal, l’ardeur de connaître une chose secrète et défendue servit à exciter encore le talent mathématique ? Une fois développée, cette passion des sciences exactes, l’une des plus puissantes sur les esprits qu’elle possède, retint cet ardent génie par l’attrait des découvertes, la nouveauté des expériences, la certitude des vérités, et consuma de travaux