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plus exister qu’en elle-même. Ainsi, par le progrès des connaissances humaines a commencé le divorce des sciences et des lettres ; et notre intelligence agrandie s’est divisée, comme un empire trop vaste se sépare en royaumes indépendants.

On compte les hommes qui voulurent faire exception à cette loi de la faiblesse humaine ; et ils la confirment encore. S’ils ont embrassé les extrêmes, ils n’ont pu les porter au même point. L’une des deux perfections est toujours prise sur l’autre ; et ils sont tout ensemble médiocres et sublimes. Un homme s’était présenté pour donner à l’esprit humain deux titres de gloire à la fois ; mais ses premiers élans ont usé les forces de la nature ; et il n’a pas eu le temps de finir. Cependant quel spectacle que les travaux et les essais de cet homme arrêté dans le milieu de sa tâche quels monuments que les jets informes de son génie !

On se propose de rassembler ici quelques réflexions sur ceux des ouvrages de Pascal qui sont étrangers aux sciences mathématiques. Pascal écrivait à l’un des plus profonds géomètres de son temps « J’appelle la géométrie le plus beau métier du monde[1] ; mais enfin ce n’est qu’un métier ; et j’ai dit souvent qu’elle est bonne pour faire l’essai, mais non pas l’emploi de notre force. » Sans devenir complice de ce dur et peut-être capricieux anathème contre une science si fort admirée de nos jours, il est permis de chercher de préférence la grandeur de l’esprit humain dans ces monuments de haute raison et d’inimitable éloquence, qui parlent à tous les siècles, et transmettent à l’avenir l’homme de génie tout entier. Dans les sciences exactes, la découverte se sépare, pour ainsi dire, de l’inventeur ; elle se corrige, s’étend, se per-

  1. Œuvres de Pascal, V. 111.