Page:Villemain - Discours et mélanges littéraires.djvu/14

Cette page n’a pas encore été corrigée

aveux du premier quelles peuvent être les fautes d’un honnête homme ; et si j’apprends à les excuser, en revanche, je m’habitue à ne pas en concevoir d’autres : mais je craindrais, en lisant Rousseau, d’arrêter trop longtemps mes regards sur de coupables faiblesses qu’il faut toujours tenir loin de soi, et dont la peinture trop fidèle est plus dangereuse pour le cœur, qu’elle n’est instructive pour la raison.

Montaigne, je l’avoue, ne connaît pas l’art d’anéantir les passions ; il réclamerait volontiers, avec La Fontaine, contre cette philosophie rigide qui fait cesser de vivre avant que l’on soit mort. Il aime à vivre, c’est-à-dire, à goûter les plaisirs que permet la nature bien ordonnée. Pour moi, dit-il, j’aime la vie et la cultive, telle qu’il a plu à Dieu nous l’octroyer. Il croit que c’est le parti de la sagesse, et qu’on serait coupable autant que malheureux de se refuser l’usage des biens que nous avons reçus en partage. On fait tort à ce grand et tout-puissant donneur de refuser son don, l’annuler et desfigurer. Tout bon, il a fait tout bon. Ces maximes peuvent être rejetées par quelques esprits austères, qui ne conçoivent pas de vertu sans combat, et jugent du mérite par l’effort. Elles pourraient être dangereuses pour quelques âmes ardentes et passionnées, que leurs désirs emporteraient trop loin, et qui doivent être retenues, parce qu’elles ne savent pas s’arrêter. Mais Montaigne s’adresse à ceux qui, comme lui, éprouvent plutôt les faiblesses que les fureurs des passions ; et c’est le grand nombre. Il est le conseiller qui leur convient. Il ne les enraie pas sur leurs fautes qui lui paraissent une conséquence de leur nature. Il ne s’indigne pas de cette alternative de bien et de mal, qu’il regarde comme une faiblesse dont il trouve l’explication en lui-même. Il ne désespère personne, il n’est mécontent ni de lui ni des autres. Ses principes ne sont jamais