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et si les combats du Télémaque ont la grandeur et le feu des combats de l’Iliade, Mentor parle quelquefois aussi longuement qu’un héros d’Homère ;’et quelquefois les détails d’une morale un peu commune rappellent les longs entretiens de la Cyropédie. En considérant le Télémaque comme une inspiration des muses grecques, il semble que le génie de Fénekon en reçoive une force qui ne lui était pas naturelle. La véhémence de Sophocle s’est conservée tout entière dans les sauvages imprécations de Philoctète. L’amour brûle dans le cœur d’Eucharis, comme dans les vers de Théocrite. Quoique la belle antiquité paraisse avoir été moissonnée tout entière pour composer le Télémaque, il reste à l’auteur quelque gloire d’invention, sans compter ce qu’il y a de créateur dans l’imitation de beautés étrangères, inimitables avant et après Fénelon. Rien n’est plus beau que l’ordonnance du Télémaque ; et l’on ne trouve pas moins de grandeur dans l’idée générale, que de goût et de dextérité dans la réunion et dans le contraste des épisodes. Les chastes et modestes amours d’Antiope, introduits à la fin du poëme, corrigent, d’une manière sublime, les emportements de Calypso ; et l’intérêt de la passion se trouve deux fois reproduit, sous l’image de la fureur et sous celle de la vertu. Mais, comme le Télémaque est surtout un livre de morale politique, ce que l’auteur peint avec le plus de force, c’est l’ambition, cette maladie des rois, qui fait mourir les peuples, l’ambition grande et généreuse dans Sésostris, l’ambition imprudente dans Idoménée, l’ambition tyrannique et misérable dans Pygmalion, l’ambition barbare, hypocrite, impie, dans Adraste. Ce dernier caractère, supérieur au Mézence de Virgile, est tracé avec une vigueur d’imagination qu’aucune vérité historique ne saurait surpasser. Cette invention des personnages n’est pas moins rare que l’invention générale