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laissé peu de place aux grandes idées, et que l’éducation du Dauphin n’ait, sous quelques rapports, rapetissé son âme, pour mieux la dompter. Fénelon, il est vrai, parle toujours à son élève le langage d’une politique active et éclairée. Mais, lorsqu’il lui reproche le goût de la solitude et de la contemplation, une piété minutieuse, une humilité déplacée, il est difficile de croire que ces défauts, qui semblent si opposés à l’enfance impétueuse du duc de Bourgogne, ne soient pas en partie le résultat de l’éducation sur une âme qui avait plus d’ardeur que de lumières, et qui, trop vaincue par la religion, convertit toute sa force en douceur et en vertu. Dans les lettres de Fénelon à son vertueux élève, on trouve des jugements sévères sur tous les généraux qui formaient alors l’espoir de la France. On peut remarquer, à cet égard, que Fénelon avait beaucoup de douceur dans le caractère, et beaucoup de domination dans l’esprit. Ses idées étaient absolues et décisives, habitude qui semble tenir à la promptitude et à la force de l’esprit. L’attention continuelle que Fénelon portait aux intérêts politiques de la France ne diminuait en rien son zèle pour les affaires de la religion et de l’Église. Ceux qui honorent particulièrement Fénelon comme philosophe s’étonneront peut-être de le voir entrer dans toutes les discussions ecclésiastiques avec autant d’ardeur que Bossuet lui-même. Mais si Fénelon n’avait pas été, avant tout, ce qu’il devait être par conscience et par état, évoque et théologien, il mériterait moins d’estime ; il aurait manqué au principal caractère du siècle où il a vécu, le sentiment des bienséances et des devoirs. Lorsque les malheureuses disputes du jansénisme se réveillèrent après une longue interruption, Fénelon écrivit contre des hommes qui n’imitaient pas son respect pour la cour de Rome ; et il se trouva bientôt engagé dans une controverse, qui fut, à la vérité,