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facile à concevoir, à une époque où la religion formait un lien commun qui rapprochait les esprits.

Fénelon, dans les sages conseils qu’il donnait à Jacques III, montrait sa haute estime pour la constitution anglaise, si forte à la fois contre le despotisme et contre l’anarchie. Il était exempt de cet étroit patriotisme qui calomnie tout ce qui existe au delà des frontières. Son âme vertueuse avait besoin de s’étendre dans l’univers, et d’y chercher le bonheur des hommes. « J’aime mieux, disait-il, ma famille que moi-même ; j’aime mieux ma patrie que ma famille mais j’aime encore mieux le « genre humain que ma patrie. » Admirable progression de sentiments et de devoirs ! Des esprits faux et pervers ont abusé de ce principe ; il méritait cependant d’être autorisé par Fénelon : c’est le Caritas generis humani, échappé de l’âme de Cicéron, mais démenti par les féroces conquêtes des Romains, qui, non moins inconséquents que barbares, jouissaient des blessures et de la mort de leurs gladiateurs sur le même théâtre où ils applaudissaient avec transport ce vers humain plus que patriotique :

Homo sum, humani nihil a me alienum puto.

Le christianisme était digne de consacrer par la bouche de Fénelon une maxime que la nature a mise dans le cœur de l’homme. Quand cette vérité triomphera, nous croirons au progrès des lumières. Après tous ces cris patriotiques, qui ne sont trop souvent que les devises de l’égoïsme, les prétextes de l’ambition et les signaux de la guerre, ne criera-t-on jamais en posant les armes et par un vœu qu’il est temps d’accomplir : Vive le genre humain ! L’humanité de Fénelon ne se bornait pas à des spéculations exagérées, à des généralités impraticables,