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mois après l’affaire du quiétisme, par l’infidélité d’un domestique chargé de transcrire le manuscrit. L’ouvrage, supprimé en France, fut reproduit par les presses de la Hollande, et obtint dans toute l’Europe un succès que la malignité rendait injurieux pour Louis XIV, en y cherchant des allusions aux conquêtes et aux malheurs de son règne. Ce prince, qui avait toujours médiocrement goûte les idées politiques de Fénelon, et le nommait depuis longtemps un bel esprit chimérique, regarda l’auteur de Télémaque comme un détracteur de sa gloire, qui joignait le tort de l’ingratitude aux injustices de la satire. Fénelon mourant protesta de son respect pour la personne et pour les vertus de Louis XIV. Ce témoignage formel, comparé au jugement sévère que Fénelon énonçait dans la lettre dont nous avons déjà parlé, ne permet qu’une seule explication qui ménage sa gloire et la vérité. Cet homme sensible et vertueux, préoccupé des malheurs qui se mêlaient à l’éclat du règne de Louis XIV, transportait involontairement dans un ouvrage d’imagination quelques traits du tableau qu’il avait sous les yeux et qui souvent affligeait son âme. Comment aurait-il pu s’en défendre ? Comment parler des peuples et des rois, sans présenter des allusions aux contemporains ? Le cercle des calamités et des fautes humaines est plus borné qu’on ne le croit. Il y aura des vices, tant qu’il y aura des hommes, dit Tacite et tant qu’il y aura des vices, l’histoire des temps passés paraîtra la satire du siècle présent.

Le Télémaque offre sans doute quelques réflexions que l’on peut détourner contre Louis XIV ; mais c’est une absurde injustice de chercher dans cet ouvrage la censure allégorique et méditée de ce grand roi. Il était même impossible d’avoir mieux combiné tous les détails, pour déconcerter les allusions et pour échapper autant que possible à l’inévitable fatalité des ressemblances. Nous