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prince qui ne voulait sentir nulle part une autre prééminence que la sienne. Mais, si l’on jette les yeux sur une lettre où Fénelon, dans l’épanchement de la confiance, avertissait Mme de Maintenon que Louis XIV n’avait aucune idée de ses devoirs de roi, on supposera sans peine qu’une opinion aussi dure, dont Fénelon parait trop pénétré pour n’en avoir pas laissé échapper la révélation plus d’une fois, ne dut pas rester complétement ignorée d’un monarque trop accoutumé aux louanges, et qui pouvait s’offenser même d’un jugement moins sévère. L’histoire n’a point partagé l’extrême rigueur de cette opinion sur un prince qui, dans l’exercice d’un pouvoir absolu, il est vrai, porta toujours de la bienséance et de la grandeur, et maintint l’honneur sous le despotisme, son plus grand ennemi. Fénelon avait conservé à la cour le plus irréprochable désintéressement. Il y passa cinq années dans la place éminente de précepteur du petit-fils du roi, sans demander, sans recevoir aucune grâce. Louis XIV, qui savait récompenser noblement et avec choix, voulut réparer cet oubli ; et il nomma Fénelon à l’archevêché de Cambrai[1]. Ce moment de faveur et de prospérité était celui où Fénelon devait être frappé d’un coup funeste à son crédit, et qui même aurait mortellement blessé une réputation moins inviolable.

Depuis longtemps, Fénelon, que le mouvement de son âme portait à une dévotion vive et spirituelle, avait cru reconnaître une partie de ses principes dans la bouche d’une femme pieuse et folle, mais qui sans doute avait beaucoup de persuasion et de talent, puisqu’elle obtint une influence extraordinaire sur plusieurs esprits supérieurs. Madame Guyon, écrivant et dogmatisant sur la grâce et sur le pur amour, d’abord persécutée et arrêtée,

  1. En 1694.