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senties. Personne, après 1848, ne semblait plus à portée d’émettre en cela un avis décisif. Mais les fatalités de l’anarchie sont encore plus cruelles que les accidents de la nature. Avant même la maladie et la mort de M. le maréchal Bugeaud, le vaillant, le loyal, le savant Duvivier périssait d’une blessure reçue dans les rues de Paris, parmi ces généraux qui tombèrent victimes d’une guerre stérile et barbare. A bien des titres, de grands regrets lui sont dus ; et pour ma part, je ne penserai jamais sans tristesse et sans respect, à ce studieux anachorète des camps, que j’ai vu, vivant même à Paris, comme au désert, d’un peu de riz et de dattes, se relevant de dessus sa peau de tigre ou de lion, pour commencer au point du jour son étude des textes grecs sur l’ancienne Afrique comparée à la moderne, animant admirablement la géographie par l’histoire, par la tactique, par les souvenirs personnels et produisant incessamment des Mémoires et des Projets écrits avec autant de verve originale que de libre franchise. Que ne lui a-t-il été donné, après douze ans de glorieux services en Algérie, de suivre ici en paix ces belles études, auxquelles il semblait voué sans retour, et dont il ne fut distrait que par le péril public, à la voix de ses frères d’armes, les généraux d’Afrique aujourd’hui bannis de la patrie, qu’ils ont illustrée.

On me pardonnera ces paroles. La mémoire du général Duvivier est bien au-dessus de mon faible hommage ; et je craindrais de paraitre mêler à de si tristes souvenirs un intérêt littéraire, que bien des gens peut-être trouveront frivole. Mais il n’était pas tel pour ce noble et curieux esprit : et je dois redire ici que, connaissant si bien le caractère et les mœurs des Arabes d’Afrique qu’il avait tant pratiqués, dont il parlait la langue, dont il avait étudié l’histoire dans les monuments nationaux et byzantins, il croyait à la certitude de découvertes précieuses à faire dans les dépôts des antiques mosquées du Maroc ; quelquefois même, en s’animant sur cette pensée, il disait, plaisantant à demi, avec sa physionomie grave et mélancolique : « La chose me semble si importante, le succès si assuré, qu’en vérité, je crois, je me chargerais de la mission, quoique je connaisse bien les défiances de ces diables d’Orientaux, et malgré le danger d’avoir le cou coupé, comme espion diplomatique déguisé en savant. » Puis, il ajoutait, qu’au reste la chose pourrait s’arranger à l’amiable, sous bonne garantie ; et que, puisqu’on avait