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quable. Les contemporains eux-mêmes s’étaient fort enorgueillis de ce développement de l’esprit humain, et en avaient fait le principal caractère de l’époque où ils vivaient.

Aussi c’est contre les opinions françaises du dix-huitième siècle, et surtout contre les écrits où elles sont déposées, que l’accusation a été portée. Parmi les accusateurs, quelques-uns, se laissant emporter par un esprit d’exagération et d’animosité, sont tombés, ce nous semble, dans une erreur remarquable. Isolant ce dix-huitième siècle de tous les autres siècles, ils le regardent comme une époque maudite, où un génie malfaisant a inspiré aux écrivains des opinions qu’ils ont répandues parmi le peuple. On dirait, à les entendre, que, sans les livres de ces écrivains, tout serait encore au même état que dans le dix-septième siècle, comme si un siècle pouvait transmettre à son successeur l’héritage de l’esprit humain tel qu’il l’a reçu de son devancier. Mais il n’en est pas ainsi. Les opinions ont une marche nécessaire de la réunion des hommes en nation de leur communication habituelle naît une certaine progression de sentiments, d’idées, de raisonnements, que rien ne peut suspendre. C’est ce qu’on nomme 1a marche de la civilisation ; elle amène tantôt des époques paisibles et vertueuses, tantôt criminelles et agitées quelquefois la gloire, d’autres fois l’opprobre, et suivant que la Providence nous a jetés dans un temps ou dans un autre, nous recueillons le bonheur ou le malheur attaché à l’époque où nous vivons. Nos goûts, nos opinions, nos impressions habituelles en dépendent en grande partie : nulle chose ne peut soustraire la société à cette variation progressive. Dans cette histoire des opinions humaines, toutes les circonstances sont enchainees de manière qu’il est impossible de dire laquelle pouvait ne pas résulter nécessairement de la précédente. »

Je ne crois pas qu’on ait rien écrit de plus instructif et de plus sage sur le dix-huitième siècle, et mieux expliqué la littérature par la connaissance des hommes.

Note E. L’essai d’un travail comparatif sur toutes les formes de gouvernements avait été fait avant Montesquieu ; et le modèle donné avec une supériorité de science, de méthode et de génie qui