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littéraire de l’antiquité parut en même temps le plus indifférent pour les maximes de liberté qui, dans l’antiquité, sont inséparables de toute littérature. Le progrès rapide des arts, les créations multipliées du génie présentaient d’ailleurs aux esprits une occupation enivrante et glorieuse, qui peut-être a besoin d’être exclusive, et qui ne pouvait jamais contrarier un pouvoir absolu, dont l’exercice était mêlé de grandeur et de bonté. L’attention publique ne s’était point tournée vers ces sciences économiques, qui nécessairement conduisent aux idées de liberté, en inspirant l’envie de défendre des intérêts que l’on croit bien connaître. Enfin, cette portion d’indépendance, nécessaire à toute époque florissante, se retrouvait dans les disputes religieuses où se jetèrent les plus grands esprits, et qui partageaient et passionnaient le publie. Les Lettres provinciales offraient tout l’intérêt, toute la vivacité, toute la hardiesse d’un pamphlet politique. Sans compter l’esprit, il y avait alors plus de malice et de courage à désoler les jésuites, qu’il ne sera jamais possible d’en mettre à poursuivre des ministres. Les jansénistes formaient l’opposition, et la soutenaient par de grands noms, d’excellents écrits, d’illustres amitiés, et beaucoup de faveur populaire. L’indépendance de la pensée, ainsi concentrée, s’exerçait. Je le sais, sur des futilités, de subtiles arguties. Mais l’indépendance tient moins à la grandeur des choses que l’on défend, qu’à la chaleur, à la publicité, à l’obstination avec laquelle il est permis de les défendre. On peut mettre la liberté partout, pourvu qu’on la conserve. Les controverses de Bossuet et de Fénelon, la résistance si longue et si éclatante d’une grande vertu persécutée contre tout l’ascendant du pouvoir souverain, furent encore un heureux exemple d’indépendance. Voilà de ces traits qui distinguent la monarchie du despotisme. L’autorité, inaccessible dans son propre domaine, où l’on n’aurait pas même su l’attaquer, luttait seulement pour des questions frivoles, agrandies par l’opinion mais enfin elle connaissait une résistance. Lorsque la raison et le temps ont fait disparaître ces premiers aliments offerts à l’activité des esprits, on a dû arriver à des questions plus sérieuses, à des intérêts plus réels. On est sorti de la réserve dont se plaignait La Bruyère : un homme né chrétien et Français a pu tout examiner et tout combattre. Que cette hardiesse ait produit du mal, elle n’en est pas moins un résultat obligé des circonstances ; elle nous a con-