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estimé le chiffre des bénéfices que devait leur rapporter l’expédition et, tablant sur ce résultat, chacun avait échafaudé ses combinaisons pour l’avenir, car tous les hommes sont un peu de la famille de Perrette, la laitière de La Fontaine. Aussi la désillusion était-elle grande chez ces pauvres gens qui tombaient du haut d’une espérance, chute effroyable qui meurtrit le cœur et fait songer à la fragilité des choses humaines, car ils comprenaient fort bien qu’ils ne reverraient jamais ces trésors immenses qu’il leur fallait abandonner. La cupidité s’était trop emparé de leur esprit pour qu’ils songeassent à dire comme Job : Dieu me l’a donné, Dieu me l’a enlevé.

Seul, Vernier semblait avoir conservé dans cette catastrophe une calme indifférence. Son âme était trop fortement trempée pour qu’il n’acceptât point avec résignation ce coup de la fatalité. Au lieu de récriminer, il voyait dans cet effondrement des espérances de son ami un châtiment du ciel, et tous ses efforts, toutes ses pensées tendaient à conjurer autant que possible le danger qui planait sur ses compagnons. En effet, outre que ceux qui avaient juré la perte de l’expédition pouvaient suivre ses traces et l’attaquer avec une dangereuse supériorité numérique, il fallait lutter contre des obstacles de toutes sortes. Le froid terrible de l’hiver congelait le suintement des rochers qui se trouvaient changés en glaciers où les mains s’accrochaient désespérément lorsque le pied glissait sur une aspérité.

On avait quitté la plaine d’or depuis quatre jours, quand, une nuit, la neige commença de tomber en flocons épais et serrés, formant, en quelques heures, un tapis de plus