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au klondyke

— Mais c’est de la démence !

— Des hommes de cœur ne sauraient fuir devant de tels misérables.

— Si, en traversant une forêt, vous aperceviez soudain une bande de tigres et qu’il vous fût permis d’éviter leur rencontre, hésiteriez-vous à gagner au large ?

— Certes, non.

— Eh bien, vous et vos hommes êtes justement dans ce cas. Les individus qui ont juré votre mort ne méritent pas que vous les traitiez comme vos semblables. Si vous en jugiez autrement, je regretterais fort de m’être dérangé pour vous prévenir et, à l’avenir, je ne m’occuperais plus des affaires des autres.

— Vous vous calomniez, cher monsieur, car vous me semblez un trop noble cœur pour ne pas agir ainsi que vous venez de le faire, dans toute circonstance semblable.

— Charles, intervint le comte, ce brave Canadien est dans le vrai, nous devons quitter la place sans perdre une minute.

— Est-ce bien toi qui parles ainsi ? s’écria Vernier au comble de la surprise.

— Si nous étions seuls, sois certain que je tiendrais un autre langage ; mais nous n’avons pas le droit d’exposer à une mort certaine ceux qui nous accompagnent.

— Soit, dit Vernier, je suivrai ton conseil, ou plutôt le vôtre, car vous êtes deux contre moi.

— Si tu regardais nos matelots, dit tout bas le comte, tu verrais que tu es seul de ton avis.

Vernier promena un regard circulaire sur ses hommes,