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le dernier des navailles

Cette fois, le comte ne releva point le mot.

— Je vois que tu commences à me comprendre, reprit son ami, et pour te fortifier dans cette voie, je vais mettre en parallèle ma vie et la tienne. Où nous sommes-nous connus ? Au collège, n’est-ce pas ? As-tu jamais su comment je m’y trouvais ? Non. Eh bien ! je vais te le dire : orphelin à dix ans, sans fortune et presque sans parents, je fus recueilli par un brave fermier de mon village natal, qui, n’ayant pas d’enfants, résolut de m’adopter. Par ses soins, je fus placé dans le collège où tu étais toi-même, puis mes études terminées, il me fit entrer à l’école navale, où je travaillai avec tant d’acharnement que j’en sortis en tête de ma promotion, et mon protecteur eut en mourant, l’année dernière, la suprême satisfaction de me voir lieutenant de vaisseau… Maintenant que tu connais ma vie de labeur, j’ai le droit de te le dire : comte de Navailles, au nom de la société à qui j’ai payé ma dette, je te somme d’acquitter la tienne.

Le comte resta quelques instants sans répondre ; puis relevant la tête, qu’il avait tenue constamment baissée, il dit lentement :

— Mon ami, tout ce que tu viens de me dire me donne beaucoup à réfléchir, mais…

— Achève.

— À quoi suis-je bon ?… Que veux-tu que je fasse ?

— D’abord, es-tu complètement ruiné ?

— Tous comptes faits, il me reste une cinquantaine de mille francs que je laisse, par testament, à toi et à Valentin, qui, pour être mon domestique, n’en est pas moins mon frère de lait : Excuse-moi de vous avoir mis