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au klondyke
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les Français combattaient avec la conscience de leur droit, leurs adversaires avec la rage de tigres à qui l’on veut voler la proie. Peu à peu, le nombre des ennemis diminua ; enfin, affolés, accablés par le nombre, voyant partout la mort, six aventuriers réussirent à prendre la fuite. Alors on se compta. Hélas ! huit marins ne devaient plus revoir la France.

Vernier, pâle et triste, contemplait ces morts dont les yeux vitreux, fixés vers le ciel, semblaient suivre le vol de leur âme dans l’infinie.

— Henri, dit-il au comte qui regardait avec effroi ces visages livides, nous tentons Dieu !… Ceci n’est que le commencement de ce qui nous attend.

Tandis que l’on creusait une tranchée pour enterrer les morts, le comte de Navailles, les bras croisés et le front penché, se prit à songer. Cette nouvelle expédition, qu’il avait voulue, était-elle nécessaire ?… Ne pouvait-il se contenter de ce que la Providence lui avait déjà permis de recueillir ?… Ces hommes étendus sans vie, qui les avait amenés là ?…

Cette réflexion fit passer en son cœur le froid qui déjà roidissait les cadavres.

Toujours sous l’empire de ces pensées, il se prit à remonter ces rives de la vie, toujours plus fleuries à mesure qu’on se rapproche de l’enfance, puis, par une brusque transition, il évoqua l’avenir ; alors, il eut peur, car les paroles de son ami résonnaient encore à son oreille. Ce n’est que le commencement de ce qui nous attend, avait-il dit. Cette menace, qui lui semblait prophétique, le glaçait d’épouvante.