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la moisson d’or

— Tu n’as donc pas de parents à soutenir ?

— Mes parents, dit tristement Valentin, ils sont là-haut !

Et de la main il désigna le ciel.

Le Parisien baissa la tête et sembla réfléchir profondément.

— Valentin, dit-il au bout d’un instant, tu ne te doutes pas du service que tu viens de rendre à ma pauvre vieille mère.

— Vraiment ! fit le domestique, abasourdi.

— Oui, car je me disposais à tirer une de ces bordées !…

— Une bordée !… Qu’est-ce que c’est ? interrogea Valentin, peu au fait de l’argot des marins.

— C’est une série de fêtes et de bombances que les matelots s’offrent lorsqu’ils sont à terre et qu’ils ont le gousset garni… Ah ! Dieu ! m’en étais-je promis pour le débarquement ! Mais tes paroles m’ont rappelé qu’un jour aussi je n’aurai plus de mère et, ma foi !…

— Achève, Loriot.

— Au lieu de tirer une bordée, je prendrai le train de Paris et j’irai porter mes picaillons à la bonne vieille qui habite le faubourg Saint-Martin… Va-t-elle être heureuse ! … Quand je pense que j’allais gaspiller un argent qui pourra la faire vivre pendant plusieurs années, je ne sais ce que je me ferais !

Et, plein de remords pour la mauvaise pensée qui avait un instant hanté son esprit, Loriot s’administra une de ces paires de gifles qui font époque dans la vie d’un homme, fût-il Parisien et marin.