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au klondyke
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sur celui qui peut tout, car sur ces vagues, l’homme se sent bien peu de chose, et s’il ne comptait que sur lui-même, le cœur lui manquerait plus d’une fois. La nuit où nous eûmes à essuyer cette fameuse tempête, n’as-tu pas entendu l’équipage implorer la patronne des Bretons ? Sans ce suprême espoir, tu eusses vu mes matelots affolés de terreur en face de la mort qui se dressait effrayante et presque inévitable. Au lieu de ce morne désespoir, ils se tenaient fermes et résolus, confiant en la puissance de celle qu’ils imploraient… Essaie un peu de leur dire qu’ils ne lui doivent pas leur salut, tu verras comme ils te recevront ; il n’y aurait même rien d’étonnant à ce qu’ils te fissent passer par dessus le bord.

— Oui, oui, dit le comte ; tu dois avoir raison. Depuis quelques jours, je ne me sens plus le même : tout un monde de pensées nouvelles s’empare de mon esprit, et, faut-il te l’avouer ?… Eh bien… parfois j’ai honte de mon existence passée. Je me dis que l’homme doit avoir été créé pour autre chose que pour les plaisirs frivoles où j’ai englouti ma fortune.

— À la bonne heure ! s’écria joyeusement Charles Vernier. Tu te ressaisis enfin et le gentilhomme remplace le gommeux oisif… Tes paroles me ravissent, car j’y vois l’indice d’une existence nouvelle pour toi. Dans quelques mois, tu auras de l’or, beaucoup d’or ! songe à l’employer utilement, et tu sentiras alors combien il est doux de pouvoir s’estimer soi-même. Maintenant allons nous reposer… Le vent est bon, la mer est calme ; demain nous entrerons dans le détroit de Davis, c’est-à-dire dans la deuxième partie de notre voyage.