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au klondyke

serra : le comte se chauffait tranquillement, sans même jeter un regard sur son dévoué serviteur, qui revenait lentement à la vie.

— Oh ! murmura Vernier, il n’a pas de cœur !… Et dire que c’est pour lui que tant d’hommes sont morts ; car sans sa funeste ambition, tous seraient encore vivants et heureux.

Et, triste, il alla s’asseoir à l’écart, méditant avec amertume sur les malheurs que peut causer une passion poussée à l’excès.

Ainsi, le comte, qui, autrefois, n’était que frivole et orgueilleux, ne ressentait plus maintenant aucun de ces sentiments dont Dieu s’est plu à orner le cœur de l’homme et qui font ressembler son enveloppe charnelle à un de ces grossiers silex dans lesquels se cache un diamant.

Ces beautés de l’âme, M. de Navailles ne les possédait plus ; une ambition démesurée les avait tuées en lui. Vernier ne se dissimulait point que ce changement avait été amené par l’écroulement de folles espérances, plus encore que par la perspective d’une fin tragique. Qui sait même si l’amitié n’avait pas sombré dans ce désastre des plus élémentaires vertus ?

Ce point d’interrogation, le courageux et loyal marin le tournait et le retournait sans parvenir à trouver une réponse ; douloureuse situation pour l’homme de cœur qui craint de voir s’évanouir une illusion dont il s’est longtemps bercé.

Quant au comte, indifférent à tout ce qui se passait autour de lui, il continuait de se chauffer tranquillement, tandis que ses compagnons, heureux d’entrevoir enfin