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la fonte des glaces
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— Tiens, mange ! lui dit son ami en tirant de sa poche un morceau de biscuit.

M. de Navailles se précipita sur cette manne qu’il mordit à belles dents, comme si c’eût été un plat savoureux.

Les autres regardaient toujours au dehors. Ils restèrent là plusieurs heures, jouissant de cette clarté en laquelle ils mettaient toute leur espérance. Mais quand elle déclina, faisant place à l’obscurité habituelle, les mêmes ténèbres envahirent l’esprit des malheureux, leurs regards reprirent leur atonie, et ils se laissèrent choir sur le sol, mornes et découragés.

Ils demeurèrent ainsi toute la nuit, sans même remarquer que Vernier et Valentin, quoique très faibles, allaient et venaient, s’employant à une mystérieuse besogne.

Depuis longtemps le capitaine avait dissimulé sous son lit un petit sac de farine, qu’il réservait comme ressource in extremis. Certain que l’on ne tarderait pas à prendre la mer, il confectionnait, avec l’aide de Valentin, des galettes qu’il faisait cuire sous la cendre et qui devait servir à la subsistance lorsqu’on serait sur le radeau.

Depuis deux semaines, il ne faisait distribuer qu’un biscuit par jour à chacun. Bien des fois il avait songé à sa précieuse réserve, et toujours il avait rejeté l’idée de l’employer, ce dont il s’applaudissait fort en ce moment.

Ah ! comme cette maigre pitance semblerait délicieuse à tous ces infortunés, non à cause de son goût exquis, car les galettes étaient confectionnées avec de l’eau de mer bouillie, la seule dont on disposât depuis plus d’un mois, mais pour le soulagement qu’elle procurerait en trompant la faim atroce qui les torturait.