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au klondyke

mugissante guette sa proie, et l’on ne songe qu’à lui échapper. Mais Vernier, qui aspirait gagner une terre, avait conçu son radeau avec toute l’ingéniosité possible. L’avant, en forme de proue, devait fendre les flots, sinon avec rapidité, du moins assez aisément. Une tente dressée à l’arrière devait abriter les passagers contre le froid qui, en toute saison, sévit dans les régions arctiques.

En escomptant un vent favorable, quelques jours devaient suffire pour atteindre la terre des Esquimaux, la plus proche d’après les calculs du capitaine.

Pénétrons maintenant dans la case.

La machine à vapeur du Caïman, on se le rappelle, avait été transportée à terre, non seulement parce que la grande chaleur qui se dégageait de son foyer était indispensable à cette agglomération d’hommes, mais aussi pour se procurer l’électricité qui alimentait le réflecteur élevé en haut du mât dressé près de la case. Cette machine dort maintenant son lourd sommeil métallique, et, près de ses flancs noircis, un brasier pétille tristement.

Dans un coin de la case, un amas de bois semble avertir les infortunés qu’après lui tout sera fini.

Assis près du feu, Vernier, les coudes sur les genoux et le visage dans les mains, garde une immobilité de statue.

Il songe. À quoi ? À cette sombre nuit qui semble ne devoir point finir et dans les brumes de laquelle les montagnes de glace se dressent comme des fantômes barrant la route. De tant de compagnons, sept subsistent : le maître d’équipage, le comte, Valentin, Loriot et trois matelots, dont le timonier breton. Les autres sont morts, morts de faim, de froid, de douleur et de désespoir !