Page:Ville - Au Klondyke, 1898.djvu/176

Cette page a été validée par deux contributeurs.
178
au klondyke

dévoué qui souffrait de ne pouvoir parvenir à consoler celui qu’il avait suivi avec tant d’abnégation, car, en partant pour cette seconde expédition, Vernier n’avait pas un seul instant envisagé les bénéfices probables : il avait obéi à cet intérêt qui pousse les hommes de cœur à se sacrifier ; et son sacrifice avait été d’autant plus beau, qu’un pressentiment l’avait averti qu’il courait à sa perte. Oh si le comte l’eût écouté… mais aucun raisonnement n’avait pu ébranler sa résolution, et, victime de l’amitié, il avait pris pour la seconde fois le commandement de l’expédition, espérant que son expérience et sa présence d’esprit conjureraient les périls qu’il pressentait.

De tous, Vernier était le seul qui eût conservé un calme relatif. Aidé de son second, il se livrait à d’interminables calculs sur la durée probable de leur séjour dans l’île, subordonnée à la débâcle qui devait, en adoucissant la température, rendre libre la mer qui les entourait.

Espérant que l’on tiendrait jusque-là, il avait élaboré un plan fort ingénieux. Avec les débris du Caïman, on construirait un solide radeau, et, au lieu d’attendre qu’une voile passât à portée de l’île, on partirait à la recherche d’un navire sauveur. Peut-être, même, avec un vent favorable, pourrait-on atteindre la terre des Esquimaux.

Comme on le voit, le capitaine du Caïman ne se laissait point abattre et était décidé à lutter jusqu’au bout. Il ne redoutait plus qu’une chose, c’était que l’état mental de ses hommes ne leur donnât pas une énergie suffisante pour qu’ils pussent le seconder, car s’il était la tête qui pense et conçoit, ils étaient, eux, le bras qui exécute. L’abatte-