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la révolte

— Du moment que le capitaine l’affirme, je n’ai pas besoin de preuve. C’est égal, je regrette les deux larmes que j’ai senti tout à l’heure rouler sur mes joues.

— Ne les regrettez pas, dit Vernier d’une voix grave, car il est toujours pénible de verser le sang de ses semblables, surtout lorsqu’il s’agit de compagnons, avec lesquels on a vécu côte à côte et dont on a partagé les joies et les peines.

— Camarades, dit le Breton Baludec, à genoux et demandons au Seigneur de pardonner à ces malheureux.

Les matelots formèrent un cercle autour des cadavres et s’agenouillèrent, s’associant mentalement à la prière que récitait à haute voix le vieux timonier. Ce pieux devoir accompli, tous se relevèrent, et sur l’ordre de Vernier, on pansa les blessés, pendant que ceux qui n’avaient reçu que des coups insignifiants allaient déposer à quelque distance de la case les cadavres des vaincus.

Le capitaine eut bien voulu leur faire donner une sépulture, mais par le froid intense qui sévissait, il lui eut fallu risquer la vie de ses hommes, ce à quoi il ne put se résigner.

Les cadavres furent donc déposés à côté les uns des autres et abandonnés.

Le reste de la nuit se passa en commentaires sur cet événement sanglant. Peu à peu, la pitié qui s’était emparée des matelots fit place à une sourde rancune. La pensée du massacre prémédité par les révoltés les remplissait d’horreur. Ce fut bien autre chose lorsque le second, qui s’était rendu à bord avec les plus valides, revint, rapportant les vivres dérobés. À cette vue, l’indignation déborda et plus d’un poing se tendit dans la direction où reposaient les coupables.