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l’installation

— Puisque rien, selon toi, ne peut nous sauver, pourquoi as-tu pris soin de sauver la cargaison ?

Vernier haussa les épaules.

— Mon cher, dit-il en souriant, tu raisonnes comme un phoque.

— Merci, fit le comte froissé.

— Inutile de me remercier ; j’en aurai autant à ton service chaque fois que tu me poseras une sotte question.

— Frappe, dit le comte, mais n’insulte pas.

— Te frapper, dit en riant Vernier, jamais ; quant à t’insulter, je n’y songe pas davantage.

— Admettons qu’en comparant mon intelligence à celle d’un phoque tu m’aies dit une gracieuseté, mais tu n’as point répondu à ma question.

Vernier devint grave.

— Mon ami, dit-il, nous approchons du moment où j’aurai à combattre, non plus seulement le froid et la faim mais aussi le désespoir de mes matelots. Bien que j’aie fait diminuer considérablement les rations de vivres, je vais être obligé de les restreindre encore. Tant que nos compagnons contempleront les sacs d’or, ils penseront que tout espoir n’est pas perdu et ils m’obéiront. En faisant transporter ici la cargaison, j’ai ranimé les courages abattus, car chacun a supposé que si je songeais à sauver nos richesses, c’est que j’étais certain que nous-mêmes serions sauvés. Tant que mon équipage aura confiance en moi, il souffrira en silence, mais le jour où la vérité lui apparaîtra, qui sait ce qui peut arriver ?… Des hommes affolés par le désespoir sont capables de tout.

En ce moment, le mécanicien souleva la toile.