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Le Caïman reprit donc la route déjà parcourue. Pâles et anxieux, les matelots semblaient en proie à un sombre désespoir. Il était bien évident pour eux que le capitaine ne songeait qu’à retarder le moment fatal, car se frayer un chemin à travers ces écueils flottants était chose impossible.

La nuit tout entière se passa dans ces cruelles perplexités. De temps en temps un choc léger, suivi d’un bruit sourd, se faisait sentir : c’était un glaçon qui heurtait le flanc du navire, et chacun de ces chocs accentuait la pâleur des malheureux matelots qui, chaque fois s’attendaient à voir le vaisseau couler à fond.

Lorsque, le lendemain, la même lueur qui avait éclairé les ténèbres le jour précédent reparut, Vernier, malgré tout son courage, ne put s’empêcher de pâlir affreusement. Une immense plaine de glace s’avançait à tribord, venant du nord-est.

À cette vue, l’équipage tout entier poussa un cri de terreur, et la consternation fut à son comble.

— Camarades, à genoux ! cria le vieux timonier qui, lors de la tempête, avait déjà contraint ses compagnons à implorer la protection de sainte Anne.

À cette exhortation, qui ressemblait à un commandement, tant la voix du timonier était solennelle, les matelots ôtèrent leur béret et fléchirent le genou.

Alors, la voix grave du vieux marin se fit entendre en une de ces prières non prévues par la liturgie ; mais dont la naïveté indique une foi profonde. Et tandis qu’il priait, ses compagnons, le front courbé, s’associaient à lui, par le cœur, dans cette invocation suprême à la mère de Marie