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bilité morale qui lui incombait. En effet, si ses matelots l’avaient suivi dans cette effroyable région, n’était-ce point par suite de la confiance qu’il leur inspirait ? Aussi quelle douleur était la sienne lorsque ses yeux rencontraient un regard dans lequel il croyait lire un muet reproche ! Combien, à cette heure, il déplorait sa fatale faiblesse ! N’aurait-il pas dû, par tous les moyens, dissuader son ami d’entreprendre cette seconde expédition ? Livré à lui-même, le comte y eut certainement renoncé.

— Halte ! cria-t-il tout à coup.

— Pourquoi cet arrêt ? lui demanda le comte.

— Regarde, lui répondit Vernier en désignant au loin une ligne sombre.

— Je ne vois rien, dit le comte en fixant les yeux dans la direction indiquée par son ami.

— Tu ne vois pas cette forêt, à l’ouest ?

— Je vois bien quelque chose d’un peu plus foncé que la neige, mais c’est tout.

— C’est une forêt, te dis-je.

— Et en quoi peut-elle nous intéresser ?

— Comment, tu ne comprends pas que la neige qui recouvre la plaine et les montagnes a dû forcer le gibier à chercher un refuge dans les bois ?

— Et tu veux faire comme le gibier ?

— Je veux aller chercher là de quoi sauver nos hommes.

— Qui t’accompagnera ?

— Toi, d’abord.

— Moi !… s’écria le comte avec terreur. Ah ! mon cher, si tu crois que je suis en état d’aller me mesurer avec des fauves, tu te trompes singulièrement.