Chatterton et le moine Rowley un article qui doit empêcher que le public, « séduit par le succès mérité du beau drame de M. de Vigny, ne prît pour un tableau fidèle de la vie de Chatterton ce qui n’est que l’œuvre admirable d’un artiste français ».
La province avait réagi plus mollement aux tournées de Mme Dorval dans le rôle principal. A. P[ontmartin], dans la légitimiste Gazette du Midi du 20 août 1835, constate la difficile alliance entre le talent élégiaque de Vigny et le drame véritable, et redoute une interprétation fausse de l’idée de Chatterton par les « futurs génies ». Une tournée d’automne, en 1836, un séjour à Lyon à partir d’octobre, sont de plus en plus favorables à la pièce et à l’héroïne principale.
Chatterton brilla ainsi d’un éclat assez exceptionnel dans l’œuvre de son auteur : d’où, chez certains critiques, une tendance à voir dans cette pièce une œuvre excentrique à l’activité moyenne de Vigny. (H. Babou, dans la Revue nouvelle du 15 février 1846.) Molé, dans sa fameuse réponse académique, en prend texte au contraire pour le gourmander avec la sévérité que l’on sait. Menche de Loisne, en 1852, ne manque pas d’en signaler l’importance sociale dans son Influence de la littérature française de 1830 à 1850 sur l’esprit public et les mœurs : point de vue adopté par tous les historiens de la Monarchie de Juillet et la plupart des enquêteurs sur le Romantisme et les mœurs (cf. l’ouvrage publié sous ce titre par L. Maigron, 1910, p. 107). Il y a donc ailleurs que dans la littérature proprement théâtrale un sillage de Chatterton : quelques remous en touchent les révoltés intellectuels de la Bohème et, plus tard, de la Commune.
Bien que cette pièce sans action extérieure, et dont une sorte de lyrisme à plusieurs voix constitue surtout la vibration profonde, soit restée vivante pour ceux qui souhaitent un « théâtre de l’âme » (titre d’Édouard Schuré, 1910, qui d’ailleurs ne cite pas Vigny précurseur), sa vertu dramatique n’est point faite pour émouvoir des publics indifférents à ce qui sollicite la vie profonde des êtres : il y paraît quand, sous le Second Empire, Chatterton est repris aux Français avec Geffroy vieilli et Mme Arnould-Plessy. Le poète a dû faire disparaître quelques mots où le public eût pu saisir des allusions. D’ailleurs, Napoléon III, qui s’entretiendra longuement du sujet avec le poète, s’intéresse fort à la pièce : arrivé en retard au théâtre, il avait fait recommencer… « Le génie, Chatterton, ce n’est pas seulement l’inspiration, c’est aussi la patience » : ainsi parlait Th. Gautier, très élogieux naguère pour la reprise de 1840 ; dans la Presse du 26 janvier 1846, il avait simplement déploré le peu de relief de la forme,