On verra plus loin (p. 369) que le personnage de Chatterton était au début, dans la pensée de l’auteur, encore plus aristocrate d’origine. Sur la profession de son père (mort en réalité en 1752, l’année de la naissance de Thomas), sur d’impossibles années d’études à Oxford, Vigny ne s’est nullement soucié de véracité biographique.
Il n’est pas douteux, d’autre part, qu’il n’ait lu la Revue de Paris d’octobre 1829 (J. Janin, dans la même livraison, faisait appel à Vigny, Latouche donnait sa fameuse Camaraderie littéraire) : or Philarète Chasles y parlait longuement de ces quakers dont un représentant allait tenir une place assez justifiée à côté du poète. (Dans sa première lettre à sa mère, le 26 avril 1770, Chatterton mentionne un quaker, avec qui il a fait route et « agréablement conversé » dans le coche qui l’emmenait de Bristol à Londres.) Rappelons à ce sujet qu’Emile Montégut pouvait noter dans ses cahiers de 1843-1844 que « pour avoir la physionomie de Locke, il faudrait fondre ensemble John Bell et le Quaker, deux des personnages par lesquels la double face de l’Angleterre a été fort bien montrée par M. de Vigny ». Celui-ci tenait surtout, d’ailleurs, à mettre dans sa pièce une sorte de nouveau Docteur-Noir, un « raisonneur » qui fût en même temps de bon conseil, mais avec plus d’évangélisme.
Sur Beckford, l’auteur de Stello n’a pas été ébranlé par une note de la Revue britannique (1834, t. VII, p. 55, extrait de l’Edinburgh Review) protestant contre la méprise qui, d’un émule d’Horace Walpole, l’alderman Beckford, avait fait « un magistrat pesant, enfoncé dans la matière » : l’incarnation du dur positivisme industriel importait à Vigny plus que tout. Quant au bourg de Norton, tout imaginaire, peut-être a-t-il été suggéré à Vigny par Chipping Norton, à 72 milles de Londres, où l’on manufacturait la laine. (Note de M. A. Koszul ; cf. p. 368.)
Il va de soi que, d’avance, une figure apitoyée de jeune femme — plus âgée cependant que le douloureux héros — devait se détacher sympathiquement de l’Angleterre indifférente et céder à un attrait surtout fait de pitié. La dolente Kitty doit quelque chose aux héroïnes si tendres de Shakespeare et de Richardson, peut-être aussi à la douce Desbordes-Valmore, mais il est certain que l’émotive actrice qui fut pour beaucoup dans le succès de la pièce et qui avait été pour beaucoup dans la carrière théâtrale de l’auteur. Mme Dorval, que Vigny voyait plus « idéale » que la réalité, s’est retrouvée aisément dans les traits les plus pathétiques de Kitty ; entrée à la Comédie-