Pardonnez-lui et sauvez-le. Cherchez et trouvez pour lui une vie assurée, car à lui seul il ne saura trouver que la mort ! — C’est dans la première jeunesse qu’il sent sa force native, qu’il pressent l’avenir de son génie, qu’il étreint d’un amour immense l’humanité et la nature, et c’est alors qu’on se défie de lui et qu’on le repousse.
Il crie à la multitude : « C’est à vous que je parle, faites que je vive ! » Et la multitude ne l’entend pas ; elle répond : « Je ne te comprends point ! » Et elle a raison.
Car son langage choisi n’est compris que d’un petit nombre d’hommes choisi lui-même. Il leur crie : « Écoutez-moi, et faites que je vive ! » Mais les uns sont enivrés de leurs propres œuvres, les autres sont dédaigneux et veulent dans l’enfant la perfection de l’homme ; la plupart sont distraits et indifférents, tous sont impuissants à faire le bien. Ils répondent : « Nous ne pouvons rien ! » Et ils ont raison.
Il crie au Pouvoir : « Écoutez-moi, et faites que je ne meure pas ! » Mais le Pouvoir déclare qu’il ne protège que les intérêts positifs, et qu’il est étranger à l’intelligence, dont il a ombrage ; et cela hautement déclaré et imprimé, il répond : « Que ferais-je de vous ? » Et il a raison. Tout le monde a raison contre lui. Et lui, a-t-il tort ? — Que faut-il donc qu’il fasse ? — Je ne sais ; mais voici ce qu’il peut faire.
Il peut, s’il a de la force, se faire soldat et passer sa vie sous les armes ; une vie agitée, grossière, où l’activité physique tuera l’activité morale. Il peut, s’il en a la patience, se condamner aux travaux du chiffre, où le calcul tuera l’illusion. Il peut encore, si son cœur ne se soulève pas trop violemment, courber et amoindrir sa pensée, et cesser de chanter pour écrire. Il peut être homme de lettres, ou mieux encore ; si la philosophie vient à son aide et s’il peut se dompter, il deviendra utile et grand écrivain ;