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place voir la cérémonie. Moi, je l’avais trop bien vue.

Je descendis plus lentement, et pour satisfaire le désir violent qui me restait, celui de voir comment se conduirait la Destinée, et si elle aurait l’audace d’ajouter le triomphe général de Robespierre à ce triomphe partiel. Je n’en aurais pas été surpris.

La foule était si grande encore et si attentive sur la place, que je sortis, sans être vu, par ma grande porte, ouverte et vide. Là je me mis à marcher, les yeux baissés, sans sentir la pluie. La nuit ne tarda pas à venir. Je marchais toujours en pensant. Partout j’entendais à mes oreilles les cris populaires, le roulement lointain de l’orage, le bruissement régulier de la pluie. Partout je croyais voir la Statue et l’Echafaud se regardant tristement par-dessus les têtes vivantes et les têtes coupées. J’avais la fièvre. Continuellement j’étais arrêté dans les rues par des troupes qui passaient, par des hommes qui couraient en foule. Je m’arrêtais, je laissais passer, et mes yeux baissés ne pouvaient regarder que le pavé luisant, glissant et lavé par la pluie. Je voyais mes pieds marcher, et je ne savais pas où ils allaient.