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Avec mes yeux j’avais vu l’ensemble du tableau ; pour voir le détail je pris une longue-vue. La charrette était déjà éloignée de moi, en avant. J’y reconnus pourtant un homme en habit gris, les mains derrière le dos. Je ne sais si elles étaient attachées. Je ne doutai pas que ce ne fût André Chénier. La voiture s’arrêta encore. On se battait. Je vis un homme en bonnet rouge monter sur les planches de la Guillotine et arranger un panier.

Ma vue se troublait : je quittai ma lunette pour essuyer le verre et mes yeux.

L’aspect général de la place changeait à mesure que la lutte changeait de terrain. Chaque pas que les chevaux gagnaient semblait au peuple une défaite qu’il éprouvait. Les cris étaient moins furieux et plus douloureux. La foule s’accroissait pourtant et empêchait la marche plus que jamais, par le nombre plus que par la résistance.

Je repris la longue-vue et je revis les malheureux embarqués qui dominaient de tout le corps les têtes de la multitude. J’aurais pu les compter en ce moment. Les femmes m’étaient