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le peuple gémissait ; et après sa grande voix, celle du nuage reprenait et roulait tristement.

L’ombre commençait à s’étendre, celle de l’orage avant celle de la nuit. Une poussière sèche volait au-dessus des têtes et cachait souvent à mes yeux tout le tableau. Cependant je ne pouvais arracher ma vue de cette charrette ballottée. Je lui tendais les bras d’en haut, je jetais des cris inentendus ; j’invoquais le Peuple ! Je lui disais : « Courage ! » et ensuite je regardais si le ciel ne ferait pas quelque chose.

Je m’écriai :

« Encore trois jours ! encore trois jours ! ô Providence ! ô Destin ! ô Puissance à jamais inconnues ! ô vous le Dieu ! vous les Esprits ! vous les Maîtres ! les Eternels ! si vous entendez, arrêtez-les pour trois jours encore ! »

La charrette allait toujours pas à pas, lentement, heurtée, arrêtée, mais hélas ! en avant. Les troupes s’accroissaient autour d’elle. Entre la Guillotine et la Liberté, des baïonnettes luisaient en masse. Là semblait être le port où la chaloupe était attendue. Le Peuple las du sang, le Peuple irrité, murmurait davantage, mais il agissait moins qu’en commençant. Je tremblai, mes dents se choquèrent.