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je ne pouvais apercevoir. Quelque chose qui venait de là excitait les cris et les huées, le mouvement et la lutte. Je me penchai inutilement, rien ne paraissait, et les cris ne cessaient pas. Un désir invincible de voir me fit oublier ma situation : je voulus sortir, mais j’entendis sur l’escalier une querelle qui me fit bientôt fermer la porte. Des hommes voulaient monter, et le portier, convaincu de mon absence, leur montrait, par ses clés doubles, que je n’habitais plus la maison. Deux voix nouvelles survinrent et dirent que c’était vrai, qu’on avait tout retourné il y avait une heure. J’étais arrivé à temps. On descendait avec grand regret. A leurs imprécations je reconnus de quelle part étaient venus ces hommes. Force me fut de retourner tristement à ma fenêtre, prisonnier chez moi.

Le grand bruit croissait de minute en minute, et un bruit supérieur s’approchait de la place, comme le bruit des canons au milieu de la fusillade. Un flot immense de peuple armé de piques enfonça la vaste mer du peuple désarmé de la place, et je vis enfin la cause de ce tumulte sinistre.