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un moment près de la fenêtre qui donnait sur la place.

Tout en réfléchissant, je regardais d’en haut ces Tuileries éternellement régnantes et tristes, avec leurs marronniers verts, et la longue maison sur la longue terrasse des Feuillants ; les arbres des Champs-Elysées, tout blancs de poussière ; la place toute noire de têtes d’hommes et, au milieu, l’une devant l’autre, deux choses de bois peint : la statue de la Liberté et la Guillotine.

Cette soirée était pesante. Plus le soleil se cachait derrière les arbres et sous le nuage lourd et bleu en se couchant, plus il lançait des rayons obliques et coupés sur les bonnets rouges et les chapeaux noirs : lueurs tristes qui donnaient à cette foule agitée l’aspect d’une mer sombre tachetée par des flaques de sang. Les voix confuses n’arrivaient plus à la hauteur de mes fenêtres les plus voisines du toit que comme la voix des vagues de l’Océan, et le roulement lointain du tonnerre ajoutait à cette sombre illusion. Les murmures prirent tout d’un coup un accroissement prodigieux, et je vis toutes les têtes et les bras se tourner vers les boulevards, que