Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/276

Cette page n’a pas encore été corrigée

furent assis, leur ton changea. Ils s’entre-regardèrent et devinrent tristes. Leurs figures, éclairées par les quatre gros réverbères rouges et enfumés, avaient des reflets lugubres comme ceux des mineurs dans leurs souterrains ou des damnés dans leurs cavernes. La rougeur était noire, la pâleur était enflammée, la fraîcheur était bleuâtre, les yeux flamboyaient. Les conversations devinrent particulières et à demi-voix.

Debout derrière ces convives s’étaient rangés des guichetiers, des porte-clefs, des agents de police et des Sans-Culottes amateurs, qui venaient jouir du spectacle. Quelques dames de la Halle, portant et traînant leurs enfants, avaient eu le privilège d’assister à cette fête d’un goût tout démocratique. J’eus la révélation de leur entrée par une odeur de poisson qui se répandit et empêcha quelques femmes de manger devant ces princesses du ruisseau et de l’égout.

Ces gracieux spectateurs avaient à la fois l’air farouche et hébété : ils semblaient s’être attendus à autre chose qu’à ces conversations paisibles, à ces apartés décents, que les gens bien élevés ont à table, partout et en tout temps. Comme on ne leur montrait pas le poing, ils ne