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frotté dans les crispations de leur désespoir ; par la quantité de pleurs qui avaient humecté le bois, et par les morsures de la dent même des prisonniers. Des entailles profondes, de petites coches, des marques d’ongles sillonnaient ce dos de chaise. Des noms, des croix, des lignes, des signes, des chiffres y étaient gravés au couteau, au canif, au clou, au verre, au ressort de montre, à l’aiguille, à l’épingle.

Ma foi ! je devins si attentif à les examiner que j’en oubliai presque ma pauvre petite prisonnière. Elle pleurait toujours ; moi, je n’avais rien à lui dire, si ce n’est : « Vous avez raison de pleurer » ; car lui prouver qu’elle avait tort m’eût été impossible, et pour m’attendrir avec elle, il aurait fallu pleurer encore plus fort. Non, ma foi !

Je la laissai donc continuer, et je continuai, moi, la lecture de ma chaise.

C’étaient des noms, charmants quelquefois, quelquefois bizarres, rarement communs, toujours accompagnés d’un sentiment ou d’une idée. De tous ceux qui avaient écrit là, pas un n’avait en ce moment sa tête sur ses épaules. C’était un album que cette planche ! Les voyageurs