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en artiste consommé et, malgré les changements de gouvernement, qu’il ne comprenait guère, il avait conservé un dicton des anciens de son régiment et ne cessait de dire : Quand j’ai bien servi ma pièce, le Roi n’est pas mon maître. Il était excellent pointeur et devenu chef de pièce depuis quelques mois, quand il fut réformé pour une large entaille qu’il avait reçue au pied, de l’explosion d’un caisson sauté par maladresse au Champ de Mars. Rien ne l’avait plus profondément affligé que cette réforme, et ses camarades, qui l’aimaient beaucoup et le trouvaient souvent nécessaire, l’employaient toujours à Paris et le consultaient dans les occasions importantes. Le service de son artillerie s’accommodait assez avec le mien ; car, étant rarement chez moi, j’avais rarement besoin de lui et souvent, lorsque j’en avais besoin, je me servais moi-même de peur de l’éveiller. Le citoyen Blaireau avait donc pris, depuis deux ans, l’habitude de sortir sans m’en demander permission, mais ne manquait pourtant jamais à ce qu’il nommait l’appel du soir, c’est-à-dire le moment où je rentrais chez moi, à minuit ou deux heures du matin. En effet, je l’y trouvais toujours endormi devant mon feu.