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si vous ne lui liez les mains, il redouble (tout médecin le sait). Il en est de même de l’assassin, il croit se défaire d’un vengeur de son premier meurtre par un second, d’un vengeur du second dans le troisième, et ainsi de suite pour sa vie entière s’il garde le Pouvoir (cette chose divine et sainte à jamais à ses yeux myopes !). Il opère alors sur une nation comme sur un corps qu’il croit gangrené : il coupe, il taille, il charpente. Il poursuit la tache noire, et cette tache, c’est son ombre, c’est le mépris et la haine qu’on a de lui : il la trouve partout. Dans son chagrin mélancolique et dans sa rage, il s’épuise à remplir une sorte de tonneau de sang percé par le fond, et c’est aussi là son enfer.

Voilà la maladie qu’avaient ces pauvres gens dont nous parlons, assez aimables du reste.

Je les ai, je crois, bien connus, comme vous allez voir par les choses que je vous conterai, et je ne haïssais pas leur conversation ; elle était originale, il y avait du bon et du curieux surtout. Il faut qu’un homme voie un peu de tout pour bien savoir la vie vers la fin de la sienne — science bien utile au moment de s’en aller.

Toujours est-il que je les ai vus souvent et bien examiné ; qu’ils n’avaient pas le pied fourchu, qu’ils n’avaient point de tête