Page:Vigny - Stello ou Les diables bleus, 1832.djvu/186

Cette page n’a pas encore été corrigée

spectacle parce qu’elle est le plus effrayant des mystères. Or, comme il est vrai qu’un sanglant dénouement suffit à illustrer quelque médiocre drame, à faire excuser ses défauts et vanter ses moindres beautés, de même l’histoire d’un homme public est illustrée aux yeux du vulgaire par les coups qu’il a portés et le grand nombre de morts qu’il a données, au point d’imprimer pour toujours je ne sais quel lâche respect de son nom. Dès lors, ce qu’il a osé faire d’atroce est attribué à quelque faculté surnaturelle qu’il posséda. Ayant fait peur à tant de gens, cela suppose une sorte de courage pour ceux qui ne savent pas combien de fois ce fut une lâcheté. Son nom étant une fois devenu synonyme d’Ogre, on lui sait gré de tout ce qui sort un peu des habitudes du bourreau. Si l’on trouve dans son histoire qu’il a souri à un petit enfant et qu’il a mis des bas de soie, cela devient trait de bonté et d’urbanité. En général, le Paradoxe nous plaît fort. Il heurte l’idée reçue, et rien n’appelle mieux l’attention sur le parleur ou l’écrivain. — De là les apologies paradoxales des grands tueurs de gens. — La Peur, éternelle reine des masses, ayant grossi, vous dis-je, ces personnages