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Je sens que je porte la vie librement durant l’espace de temps qu’elles mesurent ; elles me disent que tout ce que j’aime est endormi, qu’à présent il ne peut arriver malheur à qui m’inquiète. Il me semble alors que je suis seul chargé de veiller, et qu’il m’est permis de prendre sur ma vie ce que je voudrai du sommeil. — Certes, cette part m’appartient, je la dévore avec joie, et je n’en dois pas compte à des yeux fermés. — Ces heures m’ont fait du bien. Il est rare que ces chères compagnes ne m’apportent pas, comme un bienfait, quelque sentiment ou quelque pensée du ciel. Peut-être que le temps, invisible comme l’air, et qui se pèse et se mesure comme lui, comme lui aussi apporte aux hommes des influences inévitables. Il y a des heures néfastes. Telle est pour moi celle de l’aube humide, tant célébrée, qui m’amène que l’affliction et l’ennui, parce qu’elle éveille tous les cris de la foule pour toute la démesurée longueur du jour, dont le terme me semble inespéré. Dans ce moment, si vous voyez revenir la vie dans mes regards, elle y revient par des larmes. Mais c’est la vie enfin, et c’est le calme adoré des heures noires qui me la rend.